Portrait d’une entreprise

Portrait d’une entreprise 

Le groupe volailler bourgoin

Sun Jan 8, 2012

La course à la taille n’est plus l’objectif prioritaire du groupe

La volaille ne va plus très bien. Elle laisse des plumes à l’exportation. La demande intérieure se tasse : les gens se ruent sur le porc à cause de la dégringolade des prix. Les années de vaches grasses dues à l’affaire de la vache folle ne sont plus de mise. Et comme des poulaillers ont été créés partout, la production tourne à plein régime, avec, en corollaire, des prix qui chutent. Bourgoin vient d’en faire les frais : des éleveurs en colère ont vidé ses frigos de volailles étrangères...

Faut-il y voir un lien de cause à effet ? Le groupe multiplie les cessions. Ceci après avoir repris, début 1998, la coopérative France Volaille. Il a vendu ses filiales irlandaise BMP, espagnole Callis et française Ronsard (trouvé dans les valises de France Volaille et détenu avec Coopagri Bretagne). D’autres actifs sortiront du périmètre. D’où vient ce repli qui réduit le chiffre d’affaires de 6,5 milliards de francs à moins de 5 milliards, quand le leader, Doux, s’envole vers les 10 milliards ?

« L’effet de taille n’est plus une priorité, confie Corinne Bourgoin, PDG du groupe. Il l’a été quand nous étions engagés dans une course à la productivité visant à offrir le plus bas prix possible. Aujourd’hui, nous voulons développer nos marques Duc et Douce France. »

Duc, une stratégie payante

Créée en 1991, la marque Duc a fait son trou. A mi-chemin entre la volaille de batterie et le poulet fermier label Rouge, elle bénéficie de la certification, un « signe de qualité » reconnu par les pouvoirs publics, mais à un prix plus attractif que les labels fermiers.

« Avec Duc, nous avons comblé un vide marketing et tarifaire, rappelle Bourgoin. L’idée était de proposer des volailles de goût et de qualité constants. Pour y parvenir, nous avons croisé une souche fermière avec une souche industrielle nourrie toute l’année avec les mêmes aliments (70 % de céréales, dont 50 % de maïs). » Alors que les volailles de batterie picorent des mélanges, y compris ces farines animales qui ont provoqué le scandale de la vache folle. Les goûts sont à l’avenant...

Pour Duc, toute la filière a été créée avec des couvoirs, des usines d’aliments et des abattoirs, au prix de 80 millions d’investissements. En amont, les céréaliers ont investi la même somme. Bourgoin s’assure ainsi une « traçabilité » qui va jusqu’à la sélection des semences et des parcelles !

La clientèle s’est laissée séduire. Depuis 1996, la marque Duc est même devenue une petite vedette de la Bourse. En 1997, le résultat net avait déjà progressé de 33 %, le CA de 16, 5 %, avec une part à l’international (multipliée par trois) de 46 millions de francs. 1998 aura été marquée notamment par la diversification dans la dinde certifiée et le lancement de la filière dans le Sus-Est de la France. Le CA 1998, qui sera révélé fin février, devrait se situer aux alentours de 430 millions de francs, affichant entre 30 et 35 % de croissance, pour un résultat net de 11 ou 12 millions de francs, malgré les 10 millions du budget marketing. Force est de constater que cette stratégie s’est avérée payante !

Douce France, une image haut de gamme

Ce qui a marché pour la filiale cotée en Bourse est appliqué à Douce France, une marque de bonne notoriété ressortie du placard. « Celle-ci a l’avantage de n’avoir jamais été utilisée pour le bas de gamme », affirme Bourgoin. Elle signe en effet des produits élaborés (brochettes, farcis, saucisses), des découpes, mais aussi des labels, comme le poulet fermier du Gers, et des volailles bio, qui lui donnent une image haut de gamme. Comme Duc, Douce France a bénéficié de 10 millions de soutiens publicitaires en 1998 et génère déjà 300 millions de francs de CA, un chiffre appelé à doubler l’an prochain. La distribution numérique de la marque n’atteint que 56 % dans les magasins, alors qu’elle est référencée dans toutes les centrales.

Farmstead, vers les produits élaborés

En cédant sa participation dans la société BMP à son associé Moy Park (groupe irlandais), Bourgoin récupère l’entière maîtrise de sa filière produits élaborés. Il y a perdu l’usine d’Hénin-Beaumont, mais en a profité pour renforcer ces capacités, en inaugurant une nouvelle unité à Guingamp (22), qui devient également le siège de Farmstead. Faisant l’objet d’un investissement de 65 millions de francs, cette usine porte la capacité du groupe, sur ce secteur, à 28 000 tonnes. Farmstead fabrique des produits à sa marque, d’autres pour les MDD (Marques De Distributeurs), la restauration, ainsi que sous la marque Douce France (notamment 7 références de volailles cuites et marinées, prêtes à consommer). Le développement de Farmstead, tant industriel qu’avec des produits qui se rapprochent de plus en plus des produits traiteurs (aiguillettes de dinde à la normande, pilons à la basquaise...), marque bien la volonté de Bourgoin de gagner la bataille de la valeur ajoutée.

Satisfaire la distribution

Grâce à cette politique de marques, Bourgoin compte satisfaire la distribution. En contribuant aux marges arrière et à l’animation du rayon. « C’est un domaine où les volaillers sont très en retard, soupire Corinne Bourgoin. Mais nous évoluons. Cette année, nous proposons pour la première fois un tarif général avec des remises. La distribution a besoin de ces marges. Elle ne se contentera plus de prix net-net. »

Bourgoin n’abandonne pas pour autant les marques de distribution. « Nous avons démarré grâce à elles », se rappelle Corinne Bourgoin. Les enseignes deviennent plus exigeantes en matière de sécurité alimentaire et le groupe s’estime bien placé pour les satisfaire. Le bas de gamme n’est pas abandonné non plus, bien qu’en « chute de 18 % », car il génère un gros volume d’affaires. Bourgoin utilise alors la marque Chaillotine (1,7 milliard de CA) ou des marques réservées. Mais cette dernière activité est « non prioritaire ».

Les cessions à répétition sont donc logiques. BMP, Callis et Ronsard ne faisaient que du bas de gamme. « Notre axe, c’est la distribution européenne avec des produits à marque. Nous avons les outils, la logistique et les volumes pour y répondre », martèle le PDG.

Bourgoin, firme paneuropéenne

Une toute nouvelle plate-forme logistique pour le frais vient d’ailleurs d’être inaugurée au Royaume-Uni, où le groupe réalise 500 millions de francs de CA. Et que Bourgoin se retrouve derrière LDC et Doux ne l’inquiète pas. La course à l’ultraproductivité oblige à délocaliser, comme vient de le faire Doux en rachetant Frangosul au Brésil. Grâce aux cessions, le leader de la volaille certifiée réduit sa dette de 300 millions (celle-ci s’établit désormais à 850 millions de francs, pour 550 millions de fonds propres) et assainit ses finances.

Pour l’instant, le résultat du groupe reste inférieur à celui de sa filiale Duc, mais si la stratégie réussit, Bourgoin, devenue une solide firme « paneuropéenne », pourra à son tour picorer des capitaux à la Bourse. « Nous sommes encore en phase de construction », concède Bourgoin. Il reste du chemin à parcourir, mais il est tracé.

Bourgoin réduit ses sites

Avant les cessions, Bourgoin réalisait un CA de 6,5 milliards de francs dont 41 % à l’export. Ce chiffre est réduit à 5 milliards de francs. En 1997, les résultats du groupe Bourgoin s’élevaient à 11 millions de francs. Ceux de 1998 ne sont pas encore disponibles. Bourgoin détenait 40 sites. Il n’en reste que 32 après la vente, répartis dans différentes filiales. Deux couvoirs, une usine d’aliments et 2 abattoirs sont dédiés à Duc [dont 1 à Chailley (89) où se trouve le siège social du groupe]. Farmstead exploite 3 usines pour les produits élaborés. Tilly-Sabco gère 2 abattoirs et 2 entrepôts de stockage. Cette société est la filiale export du groupe, détenue en participation avec le groupe UNICOPA. Bourgoin détient en direct 2 couvoirs pour la dinde, 4 pour le poulet, 9 abattoirs et 6 usines d’aliments.

Le groupe emploie 4 000 personnes contre 6 000 avant la réduction du périmètre. 200 emplois devraient être créés grâce à un accord sur les 35 heures, signé par les syndicats, avec annualisation du temps de travail en contrepartie, pour faire face aux pics saisonniers de Pâques, de l’été et de Noël. « Un progrès social, face aux difficiles conditions de travail dans l’industrie avicole et un bon moyen de s’assurer un meilleur service aux distributeurs », souligne-t-on chez Bourgoin.